Livres pour enfants, manuels
scolaires, jouets et magazines : à leur contact, les enfants de toutes les
nations belligérantes devinrent les protagonistes involontaires de la Première
Guerre mondiale. En louant la puissance militaire et la gloire nationale, ils enrôlèrent
leur imaginaire, les firent rêver de bravoure jusqu’à créer en eux le
désir d’être les petits soldats d’une guerre qui se voulait «régénératrice».
Fondé en janvier 1879, le
mensuel britannique Boy’s Own Paper fut,
jusqu’à sa disparition en 1967, l’un des plus prestigieux mensuels de la presse
enfantine occidentale. Dès l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes
en 1914, le B.O.P., comme on
l’appelait alors, entra lui-même dans la guerre en préparant ses jeunes
lecteurs à sacrifier leur vie pour la patrie. A la différence des autres
nations européennes, la Grande-Bretagne ne connaissait pas encore la
conscription. Son armée ne dépassait pas les 730 000 hommes en 1914. Ce fut
donc en recourant à une propagande efficace qu’elle parvint en quelques mois à
lever la plus grande armée de « bénévoles » jamais constituée dans
l'Histoire. Deux millions d’hommes se présentèrent dans les bureaux de
recrutement, parmi lesquels on comptera près de 250 000 enfants qui
s’engagèrent en mentant sur leur âge. On
estime aujourd’hui que 120 000 d’entre eux trouvèrent la mort sur les champs de
bataille. Pour la plupart de ces gamins, instruits dans les valeurs du scoutisme, la lecture du B.O.P avait été déterminante. Les
deux shillings et six pences (6 livres d’aujourd’hui) versés à l’officier
recruteur pour chaque nouveau soldat firent le reste. En dépit des plaintes des
parents et des interventions courageuses du libéral Arthur Markham au parlement
britannique, le Ministère de la Guerre ne se préoccupa de leur sort qu’au mois
de juin 1916, soit quelques mois après que la mobilisation générale fut décrétée. L'armée accepta de renvoyer les enfants-soldats au domicile familial sur présentation du certificat de naissance. Submergées de courriers, il fallut plusieurs mois aux autorités militaires pour instruire les demandes, la
bataille de la Somme lancée au mois de juillet ayant tourné au carnage.
Dessin du B.O.P. représentant Cornwall debout face à la mort |
Ce même été meurtrier, le B.O.P. se fit l’écho de la mort héroïque
de l’aide-canonnier Jack Cornwall, fauché à l’âge de 15 ans, à bord du croiseur
HMS Chester. Ce jeune scout, enfant
d’ouvrier, avait, comme tant d’autres, quitté l’école à 14 ans avant de
s’engager dans l’armée sans l’autorisation de ses parents. Devenu objet de
culte militaire, ses funérailles eurent un retentissement national. L’Amiral Lord Beresford
écrivît dans le Boy's Own Paper :
«Cornwall nous a offert un tel exemple de
dévouement à son devoir qu’il sera, pour toujours, une source d'inspiration pour
les jeunes garçons britanniques. Si tous n’auront pas la possibilité de prouver
un tel dévouement, une obéissance et une discipline allant jusqu’au sacrifice
de soi, chacun d’entre eux pourra suivre son exemple par la pratique de cette
même discipline et de cette même obéissance dans toutes les petites choses de
la vie. Car c’est par là que se forme le caractère qui, en temps de crise, permet
d’accomplir les grandes choses dont nous avons besoin ».
Pourtant, à la lecture des
différents numéros du B.O.P., il ressort
que celui-ci n’a jamais invité ses jeunes lecteurs à verser leur sang. Plus
encore, ses nombreux articles consacrés à l’action de la Croix-Rouge insistaient
sur la valeur universelle de la vie humaine. Son rédacteur en chef, Arthur Lincoln Haydon,
exprimera en quelques mots sa ligne éditoriale : «Je veux permettre au lecteur de comprendre les causes réelles qui se
cachent derrière la crise actuelle. C’est ainsi qu’il parviendra à la
conscience d’un patriotisme fondé sur les principes les plus purs et les
plus élevés: ceux du respect, de la générosité et de l’honneur ». Les
enfants britanniques furent surtout chargés de défendre le «front
intérieur» contre la démoralisation des civils, l’angoisse de la défaite
et la diffusion des idées pacifistes. Le B.O.P.
les aida à accepter la mort de leurs pères et de leurs frères tués aux combats.
Au fil de la guerre, ils devinrent des fils de soldats handicapés et des
orphelins « courageux ».
Faire société pour
l’après-guerre : telle fut la mission du B.O.P. qui, sans le savoir, prépara
toute une génération à suivre Winston Churchill lorsqu’il lui promettra, une
guerre plus loin, « du sang, de la
peine, des larmes et de la sueur ».
La vidéo : L'acteur américain Harvey Keitel récite le célèbre poème de Rudyard Kipling "If.." écrit en 1910 à l'attention de son fils unique John, alors âgé de 13 ans. Celui-ci meurt lors de son premier
assaut, au cours de l'attaque de Chalk Pit Wood, à la bataille de Loos en 1915. Son
corps ne fut pas retrouvé. Jusqu'à sa mort en 1936, Rudyard Kipling procèdera à
de nombreuses fouilles dans la région pour retrouver la dépouille de son fils. Il inventa l'inscription qui figure sur la tombe des
soldats inconnus britanniques : "Known unto God" (Connu seulement de
Dieu). En 1991, la tombe du lieutenant John Kipling sera enfin identifiée.
Propositions pédagogiques pour aller plus loin :
Propositions pédagogiques pour aller plus loin :
- Comparer les différentes traductions du poème "Si.." de Kipling (André Maurois, Jules Castier, Germaine Bernard-Cherchevsky) avec le texte anglais.
- Créer avec les enfants ou les adolescents d'une même classe un "magazine" destiné à promouvoir les valeurs de respect, de générosité, d'honneur et de fraternité en tentant, à chaque fois, de répondre à la question suivante : "Qu'avons-nous à défendre pour aujourd'hui?"
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