mardi 10 mars 2015

Du Ciel, on parvint à photographier l’Enfer !

Appareil photographique allemand de marque Flieger
à focale de 50  (1918)
"Nous étions émerveillés par la splendeur inattendue d’Ostende. Au-dessus de Nieuewpoort, nous avons vu les tranchées ennemies (…). Les hommes étaient comme des poupées. Je vous le dis, ma chère enfant, nos actes de gloire ne peuvent se décrire ! ». C’est par ces mots enthousiastes qu’en avril 1915 l’architecte militaire allemand Friedrich Steinle raconte à sa femme le survol de la côte belge. Vue du ciel, la topographie familière de la guerre change : la vue panoramique de l’aviateur-photographe vient en contrepoint du regard « à portée de canons » des soldats dans les tranchées. Du ciel, on photographie l’Enfer ! Un enfer avec ses plages, la beauté de ses villes avant les bombardements, ses cratères et ses veines creusées dans la terre. A la vue d’un village incendié, un jeune photographe allemand se souviendra être tombé en état de choc au cours de son premier vol.

Dès la fin de l’été 1914, les différents commandements militaires voulurent connaître le plus précisément possible la position des lignes ennemies. Les missions de reconnaissance aérienne s’imposèrent et les aviateurs se firent photographes. 

Photographe allemand en action
Il semble que les premières photographies aériennes de la guerre aient été prises par le 3ième escadron  de l’armée de l’air britannique le 15 septembre 1914. Les nouveaux aviateurs-photographes opéraient dans des conditions extrêmes. Avec des appareils de reportage à peine modifiés, ils devaient se pencher à l’extérieur du cockpit ouvert et changer rapidement les plaques photographiques malgré leurs gants de protection contre le gel. Si les lunettes s’embuaient ou se couvraient de glace, il leur était interdit de les retirer sous peine de perdre la vue par l’effet des grêlons percutant la rétine de l’œil à près de 200 km/heure.  Le survol à basse altitude, exigé par la faiblesse technologique des appareils photographiques, les rendait encore plus vulnérables aux tirs de l’artillerie anti-aérienne.

La qualité médiocre des photographies obligea les industriels à développer de nouveaux modèles.  Le britannique Thornton-Pickard  et l’allemand Flieger mirent au point de nouvelles focales de 50/70 mm et des téléobjectifs plus puissants qui permirent, à haute altitude, de percer les camouflages de l’infanterie. Plus tard, les italiens construiront des avions monospace capables, en survolant les montagnes tyroliennes, de prendre des clichés à plus de 3000 mètres grâce à des caméras fixes. En décryptant les camouflages utilisés par l’armée adverse, la photographie aérienne va susciter une créativité sans précédent dans l’art de la dissimulation. L’ennemi est là, tapi dans les recoins et les plis de la terre. En 1917, dans l’espoir d’échapper aux bombardements nocturnes allemands, l’armée française ira jusqu’à inventer, dans la campagne, un faux Paris lumineux, frère jumeau du vrai Paris plongé, lui, dans l’obscurité la plus complète. Une section de « camoufleurs » est créée mobilisant de nombreux peintres parmi lesquels André Mare. Celui-ci appliquera les principes du mouvement cubiste de la dislocation des formes en juxtaposant des bandes de couleurs sur les pièces d’artillerie. Ainsi parvint-il, face au photographe, à en effacer les contours pour mieux les fondre dans le paysage. Le photographe voyait un arbre mort, et c’était déjà un canon !  A croire que sur terre comme au ciel, « il n’existe pas de belle surface qui n’ait une profondeur effrayante » (Friedrich Nietzsche).
Article rédigé avec Christophe, Elodie et Lena (dans le cadre d'une résidence d'écriture et de recherches à Stuttgart )







La Vidéo : Pilotes allemands se préparant à une mission de reconnaissance aérienne à 1000 mètres d'altitude sur un biplan Rumpler. Photographe en action, survol de Verdun et des combats. Une séquence de la bataille de la Somme qui montre la troupe allemande fuyant ses tranchées prises sous un feu intense de l'artillerie britannique (Attention : erreur sur la diapositive qui indique à tort une avancée des troupes). Date de tournage : 1916. 



Propositions pédagogiques : 
Ateliers d’écriture sur l’enchevêtrement des traces humaines et non humaines à partir de photographies aériennes (collèges et lycées). Nous contacter !
Atelier de camouflage (toutes classes). Nous contacter !

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